Clio Marshall

Une étude de 2020 menée auprès de professionnels du monde du cheval et cavaliers montre que sur 1028 participants, 85, 4% pensent que le renforcement positif est la méthode d’entraînement la plus efficace. De manière assez contradictoire, 82,5% pensent que relâcher la pression est la récompense la plus efficace (ce qui correspond à du renforcement négatif). Plus inquiétant, 20,8% ont confondu renforcement négatif et punition.

Que nous indiquent ces chiffres ? Que bon nombre de cavaliers prennent le soulagement pour du plaisir. Qu’il est probable que bon nombre de cavaliers utilisent la punition lorsqu’ils pensent utiliser des renforcements. Que la formation en France et dans le monde est à la traîne concernant l’apprentissage chez le cheval, alors que la pratique de l’équitation, quelle que soit la forme qu’elle prend, y est inextricablement liée.

Il me semble que pour faire avancer le débat, chose nécessaire au vu de la tournure que prend le monde équestre aujourd’hui, il est important de s’accorder sur les termes.

Le terme « renforcement » désigne une procédure qui entraîne une augmentation de la fréquence d’émission d’un comportement. Le terme « renforçateur » désigne un stimulus qui renforce, donc augmente la fréquence d’émission d’un comportement.

Un renforçateur peut être appétitif ou aversif. Il ne peut pas être positif ou négatif, puisque ces notions renvoient à d’autres critères sur lesquels nous reviendront dans un prochain article.

Le renforcement est une procédure. Le renforçateur est un stimulus. Je sais qu’on a tous très envie de parler de récompense, mais la récompense est floue et n’a pas de définition commune. Ce n’est pas moi qui le dit aujourd’hui mais Estève Freixa i Baqué dans une note de 1981. « Tout ce qui précède montre à l’évidence qu’il est inexact de considérer « récompense » […] comme synonyme respectif de renforcement positif […]. Nous critiquons ces identifications non seulement pour leur caractère hédoniste, leur connotation morale, etc., mais parce qu’elles sont aussi erronées. »

Le terme de « récompense » était donc déjà erroné il y a 41 ans.

Un renforcement peut être positif ou négatif, et il est (très) important de bien comprendre qu’on ne parle pas ici du sens moral de ces termes mais de leur sens mathématique : positif comme une addition, parce que c’est l’ajout d’un stimulus qui va amener le comportement à se répéter ; négatif comme une soustraction, parce que c’est le retrait d’un stimulus qui va amener le comportement à se répéter.

Dans les deux cas, on observera toujours une augmentation de la fréquence du comportement, puisqu’on se place dans un processus de renforcement (opposé à la punition, qui a lieu lorsque la fréquence d’un comportement baisse).

Lors du renforcement négatif, on peut être amené à retirer (ou ajourner) un stimulus qu’on a nous-même introduit. Il n’empêche que c’est le retrait (et non l’ajout) de ce stimulus qui entraîne le comportement à se répéter. Par exemple, si je demande un départ au pas à mon cheval, je vais lui indiquer la direction puis lever mon stick (je mets de la pression). C’est le fait de baisser mon stick (et donc de retirer la pression) qui va amener mon cheval à enregistrer l’association et donc à répéter le comportement les fois suivantes.

Pour analyser votre fonctionnement et comprendre dans quel cadrant vous vous placez lorsque vous apprenez un comportement à votre cheval, vous pouvez reprendre les choses à l’envers :

  1. Est-ce que la fréquence du comportement en question augmente ou baisse ?
  2. Est-ce que cette fréquence augmente parce que j’ai ajouté ou retiré un stimulus ?
    Vous verrez que ce n’est pas toujours si simple (il est parfois même difficile de savoir quel comportement cibler)…

On peut qualifier un renforçateur à posteriori en fonction de deux critères : l’augmentation ou la diminution de la fréquence du comportement ciblé ET l’ajout ou la suppression d’un stimulus.
Si la fréquence du comportement augmente parce qu’on ajoute un stimulus, alors ce stimulus sera qualifié d’appétitif. De même si la fréquence du comportement diminue parce qu’on retire ce stimulus.
A l’inverse, si la fréquence du comportement augmente parce qu’on retire un stimulus, ou si elle diminue parce qu’on ajoute un stimulus, alors on pourra qualifier ce stimulus d’aversif.

Prenez le temps de relire ces trois phrases. C’est une petite gymnastique à choper, mais elle est essentielle.

Un stimulus appétitif ne doit pas seulement être bon ou sympa. Il doit être suffisamment motivant pour le cheval pour que celui-ci fournisse un effort pour l’obtenir (il produit ou non le comportement ciblé).
Un stimulus est aversif s’il est suffisamment désagréable pour que le cheval l’évite ou s’en échappe (et produise, ou non, le comportement ciblé).

À quoi ça sert de savoir ça, allez-vous me demander ? Déjà, c’est un petit complément d’un article sur la modification comportementale qui paraîtra la semaine prochaine sur cette même page. Ensuite, ça me permettra d’être sûre qu’on parle un langage commun lorsque j’aborderai, à la rentrée prochaine, les notions d’espace de choix, de consentement, bref, des choses un peu plus techniques. Enfin, ça permet de bien comprendre que vous ne pouvez pas décider si quelque chose est appétitif ou aversif. C’est l’apprenant, et non l’enseignant, qui décide de ça. Deux exemples rapides.
« Même avec des grains, il refuse de monter. » Les grains ne sont pas un stimulus appétitif dans cette situation.
« J’utilise le stick comme le prolongement de ma main pour le mettre sur le cercle. » Le stick (de même que la main) est un stimulus aversif dans cette situation.

Source :
Une mise au point de quelques concepts et termes employés dans le domaine du conditionnement opérant, Estève Freixa i Baqué, 1981
Dictionnaire du comportement animal, sous la direction de David McFarland, 1990
Du stimulus aversif à la cognition sociale, Denis Van Doosselaere, 1988
Karen Pryor, Carol-Ann Doucet, Max Easy (pour n’en citer que quelques unes, les sources sur ce sujet sont nombreuses)
https://thehorseportal.ca/2020/10/do-equestrians-know-how-their-horses-learn/?fbclid=IwAR1r_AjhyOPmibSPLcP4GkK4NzltHZHxAmI6OIPi_iMflNLcyajqLYOxjJc