Discussion parasitaire

Julie Ladon • Clio Marshall •

Cette semaine chez Bouillon de Poney on se penche sur la vermifugation et pour l’occasion, on est allé demander de l’aide à une vétérinaire. Cette série d’article est co-écrite par Julie Ladon, vétérinaire à la clinique de Mens (pour le fond), et Clio Marshall, fondatrice de Bouillon de Poney (pour la forme). Il n’est pas question ici de vous dérouler un protocole de vermifugation universel (parce que ça n’existe pas) mais plutôt de vous inviter à réfléchir sur certains éléments qui entourent cette prescription vétérinaire (on le rappelle) complètement banalisée et qui ne l’est pourtant pas, banale, tant d’un point de vue environnemental, que d’un point de vue économique, qu’au regard de la santé de nos chers chevaux présents et futurs.
N’hésitez pas à en parler à votre vétérinaire et à vous renseigner auprès de l’IFCE ou des autres organismes qui regorgent d’informations sur le sujet. Et pour illustrer tout ça, on vous a sélectionné nos plus belles photos de troupeaux de Chevaux de Skyros !

La première chose sur laquelle on a voulu se pencher, quand on a commencé à faire le ménage dans toutes les infos qu’on voulait vous donner concernant la vermifugation, c’est le risque de développement des résistances. Ces résistances ne relèvent pas d’une accoutumance à une molécule mais d’une mutation génétique de certains individus (qu’on appelle les parasites résistants, en opposition aux parasites sensibles).
Dans l’environnement de nos chevaux (et dans nos chevaux, littéralement), il y a une certaine proportion de parasites sensibles et une certaine proportion de parasites résistants à une ou plusieurs molécules données. Notre but, c’est de faire en sorte que cette seconde reste la plus basse possible (ce qui est naturellement le cas dans un environnement équilibré).

Lorsqu’on vermifuge, on vient détruire (ou expulser, selon la molécule choisie) tout ou une partie des parasites. À chaque vermifuge, on joue donc sur ces proportions en faisant baisser le nombre de parasites sensibles et augmenter le nombre de parasites résistants, qui eux ne sont pas touchés par la molécule et qui vont donc continuer à se reproduire.
Le vermifuge n’est donc pas un acte neutre et sans conséquence. À chaque fois qu’on utilise l’une de ces seringues, on favorise le développement de ces résistances. Le risque, à terme, c’est de n’avoir plus que des parasites résistants, et donc de n’avoir plus aucun moyen de traiter les chevaux gravement atteint de parasitisme (autre que leur propre système immunitaire).

Alors qu’est-ce qu’on fait ? Et bien premièrement, on évite à tout prix le sous-dosage. En donnant une dose pour 400kg à un cheval de 500kg, on prend le risque d’affaiblir sans tuer une partie des parasites sensibles. On multiplie donc le risque de prolifération de parasites de plus en plus résistants.
Il existe des moyens d’estimer le poids de votre cheval, ne vous en privez pas ! Et en cas de doute, le sur-dosage est moins nocif que le sous-dosage.

Une autre idée qui mérite grandement d’être remise sur le devant de la scène, c’est la vermifugation systématique quatre fois par an. Pourquoi ? Parce qu’on le sait, les études l’ont montré, 20% des chevaux adultes hébergent 80% des parasites. Donc sur un troupeau de cinq chevaux, statistiquement, un seul, et on dit bien un seul cheval est affaibli par le parasitisme. Les quatre autres sont des animaux refuges : ils hébergent des parasites sensibles, mais ils vivent très bien avec.
N’oublions pas que c’est la sur-population qui nuit à la santé de nos chevaux. À petite dose, les vers permettent de garder un système immunitaire actif et efficace.
En vermifugeant tout le monde, ou en vermifugeant certains chevaux à une période où il n’en auraient pas besoin, à nouveau, on détruit tous les parasites sensibles et on laisse uniquement les parasites résistants se développer. À l’échelle d’une grosse pension ou d’un élevage, on imagine bien vite les conséquences que ça peut avoir : la proportion entre parasite résistant et parasite sensible s’inverse et là, c’est la cata !
Les animaux refuges permettent d’équilibrer la population générale de parasites en préservant une proportion conséquente de parasites sensibles. Ces animaux sont essentiels dans la lutte contre le développement des résistances.

Alors je vous voir venir, quid de vermifuger tout un troupeau eu même temps ? Est-ce que les chevaux refuges non traités ne vont pas se réinfester les uns les autres ? Et bien oui mais leur système immunitaire va faire le travail nécessaire pour détruire une partie des parasites ingérés et garder cet équilibre entre parasites sensibles et parasites résistants, sans jouer sur les résistances puisque le système immunitaire est le seul à pouvoir détruire ces derniers.

La vermifugation systématique est pratique et bien sûr qu’elle semble intéressante sur une vision à court terme. Peu de risque pour nos chevaux, moins de tracas. Mais c’est une bombe à retardement, c’est un danger pour les générations à venir : à traiter aujourd’hui à tout va, on se tire une balle dans le pied et on creuse notre propre tombe parce que dans quelques années, lorsque les parasites résistants seront largement majoritaires et qu’on voudra traiter un cheval souffrant de parasitisme, et bien on ne pourra plus.
Il est temps de redonner au vermifuge son statut de traitement vétérinaire et de le considérer au cas par cas. C’est nécessaire pour le bien-être de nos chevaux, c’est bénéfique pour notre environnement, et à terme, c’est aussi bénéfique pour notre porte monnaie.

Maintenant, la coproscopie. Le cas par cas c’est bien mais ça fait souvent peur aux gens parce qu’on s’imagine déjà des gros chiffres et un investissement intellectuel qu’on a pas forcément envie d’assumer.
Heureusement, il existe un truc tout simple qui, pour une quinzaine d’euros, peut répondre à une grande majorité de vos questions : la copro !

Alors oui, ça implique de ramasser quelques boules de crottin frais et de les emmener chez votre vétérinaire, mais ça permet tellement de choses géniales que croyez moi, ça en vaut la peine. Déjà, ça permet de déterminer si un cheval souffre de parasitisme ou non, grâce à l’étude du nombre de vers présents. Donc on ne traite que les chevaux qui en ont besoin, et on laisse les chevaux refuge tranquilles. Ensuite, ça permet de déterminer de quel parasite souffre le cheval, et donc de traiter précisément celui qui nous embête. Deux petits gestes simples qui vous permettent déjà de limiter le développement des parasites résistants dont on parlait auparavant.

Enfin, ça permet de déterminer le statut de votre cheval : fort excréteur, ou faible excréteur. Et ça c’est un petit trésor pour l’avenir ! Les études ont montré que trois coproscopies suffisent à déterminer un cheval faible excréteur, et que ce statut a 90% de chances de se répéter d’une année à l’autre. Les chevaux forts excréteurs, qui devront donc être vermifugés régulièrement, ne représentent que 20% de la population totale (souvenez-vous de cette petite phrase, 20% des chevaux adultes hébergent 80% des parasites !)
Une fois le statut d’un cheval défini, et avec l’aide de votre vétérinaire qui estimera le parasitisme de l’environnement à l’aide d’un bilan sanitaire, alors vous pourrez définir ensemble un protocole de vermifugation de base d’un, deux ou trois vermifuges par an en fonction des individus (oui parce que quatre, c’est vraiment exceptionnel). Et vous pourrez alors vous permettre de ne faire des copros qu’exceptionnellement (lorsque des signes tels qu’un amaigrissement ou une diarrhée vous inquiètent pour l’un de vos chevaux).

Allez on récapitule. L’utilisation des vermifuges a été complètement banalisée et sortie de son contexte vétérinaire. Or une mauvaise gestion des protocoles de vermifugation a un impact catastrophique sur de nombreux plans.

  • L’environnement : les vermifuges ont un effet destructeurs sur les plantes et se retrouvent dans les sols et les rivières.
  • La faune sauvage : les abeilles, par exemple, raffolent de l’urine d’équidés, et ramènent alors le vermifuge larvicide dans la ruche, ce qui l’affaiblit et peut parfois la détruire. Et ce n’est qu’un exemple sur les milliers d’insectes qui se nourrissent d’urines et de crottins.
  • Le développement des résistances et donc la santé de nos chevaux à long terme.La vermifugation doit être considérée au cas par cas. Il est temps d’en finir avec les phrases so 2012 du genre « il faut vermifuger tous les chevaux d’un même pré en même temps » ou « vermifuge obligatoire à chaque changement de saison » !

Enfin n’oubliez pas que 10% seulement des parasites se trouvent dans nos chevaux ; 90% sont dans notre environnement. La lutte contre le parasitisme, pour être efficace et cohérente, doit contenir un plan de gestion de cet environnement : il est temps d’aborder des questions comme les rotations de parcelles, le sur-pâturage, le compostage des crottins et j’en passe. Autant de sujets qui soulèvent de nombreuses questions bien plus profondes sur notre vision de l’équitation et de la place du cheval dans notre société. Mais on garde ça pour un autre jour !